Article cpnm 006
DOUANCE ET DOUBLE EXCEPTIONNALITÉ CHEZ L’ADULTE

> Clémence, 34 ans, a toujours su qu’elle fonctionnait différemment.
Capable de jongler avec des concepts complexes en un clin d’œil, mais en proie à une grande anxiété sociale et une hypersensibilité émotionnelle, elle a longtemps oscillé entre brillance intellectuelle et sentiment d’incompétence. Identifié à haut potentiel intellectuel (HPI) tardivement, elle découvre également qu’elle présente un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH).
Comme beaucoup d’adultes doublement exceptionnels, elle s’est souvent senti en décalage, sans comprendre pourquoi.
> Alors que la douance intellectuelle est plus claire à identifier, la double exceptionnalité – la cohabitation du HPI avec un autre trouble (dans le cas de notre article, un trouble neurodéveloppemental ou un trouble de l’apprentissage) – l’est plus difficilement.
Cet article vise à clarifier ces notions, déconstruire les idées reçues et proposer des pistes pour mieux vivre avec cette singularité.
Comprendre la douance et la double exceptionnalité chez l’adulte.
Explication :
♦ La douance : une approche scientifique et précise
La majorité des chercheurs s’accordent sur le fait, qu’un individu doué est une personne qui présente un quotient intellectuel égal ou supérieur à 130 (ou équivalent au 98e rang centile).
C’est-à-dire que sur 100 individus, environ 2 personnes présenteraient une douance intellectuelle. Certains chercheurs peuvent abaisser le seuil du QI à 125 (ou équivalent au 95e rang centile, c’est à dire 5 personnes sur 100), voire à 120 (ou équivalent au 91e rang centile, c’est à dire 10 personnes sur 100), notamment en présence d’une double exceptionnalité qui peut venir affaisser les résultats obtenus à l’échelle intellectuelle.

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> Statistiquement le Quotient Intellectuel (QI) s’organise selon ce qu’on appelle « une distribution normale ». C’est-à-dire que l’ensemble d’une population est représenté par une courbe (courbe de Gauss) qui distribue les résultats selon le rang auquel chaque individu se situe par rapport à sa population de référence. Par convention, un score de QI de 100 signifie que la performance de l’individu se situe dans la norme attendue des personnes de son groupe d’âge et issues de la même culture.
Par exemple, les résultats d’un adulte évalué au Québec à l’échelle intellectuelle de la WAIS-IV seront comparés à un échantillon représentatif d’adultes canadiens du même âge qui ont initialement passé ce test pour permettre de l’étalonner.
Ainsi, le score moyen de 100 qui se situe en plein milieu de la courbe, scinde en deux les résultats d’une population : 50% obtiennent des résultats inférieurs à 100 et 50% obtiennent des résultats supérieurs à 100. Étant donné qu’un écart type correspond à 15 points de QI, un score de 115 de QI est synonyme de performances d’un écart type au-dessus de la moyenne, un score de 85 est une performance d’un écart type en dessous de la norme. Dans le cas du HPI, 30 points de plus de QI équivaut à une performance de deux écarts types au-dessus de la norme, soit un score de 130. Pour le THPI, on parle de 3 écarts types au-dessus de la norme, soit un score de QI de 145.
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> Le cerveau d’une personne douée n’est pas grossièrement différent des autres individus, mais il est efficace et plus rapide. Ses neurones communiquent entre eux plus rapidement, ce qui permet un traitement accéléré de l’information, qu’elle soit cognitive ou sensorielle. Cette transmission plus rapide de l’influx nerveux est permise grâce à un plus grand épaississement de la gaine de myéline, cette substance qui recouvre les corps des neurones et par lesquels transitent les informations.
Les régions du cerveau sont plus actives, ce qui contribue à favoriser la mémorisation et l’apprentissage de nouvelles informations. Elles sont aussi plus connectées les unes aux autres (meilleure connectivité intra-hémisphérique), facilitant son analyse et sa compréhension des situations complexes.
> Ainsi, les capacités de mémoire, d’attention, d’inhibition et de perception sont accélérées et amplifiées chez les personnes douées. Plus alerte à son environnement, leur cerveau emmagasine plus rapidement les informations qui l’entourent et facilite le fonctionnement de l’ensemble des fonctions cognitives.
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♦ La double exceptionnalité : entre performance et défis neurodéveloppementaux
Alors que la recherche nous informe que la douance est considérée comme un facteur de protection chez la grande majorité des individus, la présence d’un HPI ne prémunit personne contre les troubles neurodéveloppementaux ou les difficultés psychologiques.
Ainsi, on pourrait croire à tort que le terme « Doublement exceptionnel » signifie que la personne est deux fois plus douée, remarquable ou exceptionnelle qu’une autre. En fait, Il s’agit plutôt d’une double « rareté ». On parle de double exceptionnalité (2e) quand coexistent chez un même individu un HPI et un ou plusieurs troubles. L’appellation « trouble » réfère à tous les problèmes neurodéveloppementaux, psychoaffectifs, comportementaux, neurologiques et parfois même organiques (handicap visuel, auditif…).
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Dans le cadre de notre expertise en neuropsychologie, nous allons nous intéresser aux troubles neurodéveloppementaux ou d’apprentissage pouvant le plus souvent coexister avec le HPI :
- Le TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité) :
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- Difficulté à réguler l’attention et l’impulsivité malgré des capacités analytiques élevées.
- Hypoactivation du cortex préfrontal, impactant l’organisation et la gestion du temps.
- Perte d’intérêt rapide et démotivation liée à un faible taux de dopamine.
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- Le Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) :
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- Manque de compréhension des interactions et des normes sociales, malgré un raisonnement logique avancé.
- Difficultés de communication malgré des compétences langagière souvent très élevées.
- Hyperfocalisation sur certains domaines d’expertise.
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- Les Troubles Dys (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie) :
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- Déficits dans l’automatisation des apprentissages malgré une pensée conceptuelle et une mémoire performante.
- Compensation par des stratégies alternatives non conventionnelles, entraînant souvent une surcharge cognitive.
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- Les Troubles de santé mentale
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- On réfère ici aux troubles anxieux, de l’humeur ou de personnalité, en autant que ces derniers soient chroniques (et non passagers).
- Il n’y a pas de profil unique, ces troubles prennent des formes différentes selon l’histoire de chaque individu
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Ainsi, la double exceptionnalité crée un paradoxe : une performance cognitive exceptionnelle entravée par des difficultés adaptatives spécifiques.
La reconnaissance de cette dualité est essentielle pour proposer un accompagnement adéquat et mettre en place des stratégies de compensation adaptées, et ce, dès le plus jeune âge.
Exemples concrets de double exceptionnalité chez l’adulte
Cas tirés de ma pratique clinique
*Les cas cliniques présentés sont fictifs et à titre d’illustration uniquement*
David, 29 ans, consultant, Identifié HPI avec un TSA
David a une affinité particulière avec les chiffres et les modélisations financières complexes. Son esprit analytique hors pair lui permet d’anticiper les tendances du marché avec une précision impressionnante, ce qui fait de lui un atout précieux pour son entreprise.
Cependant, son trouble du spectre de l’autisme lui pose des défis majeurs dans les interactions sociales informelles. Lors des réunions, il ne comprend pas toujours les sous-entendus et adopte un ton trop direct, ce qui lui vaut parfois des malentendus avec ses collègues. De plus, la hiérarchie est une notion floue pour lui : il traite son manager avec la même franchise que ses subordonnés, ce qui lui attire des critiques.
Après plusieurs tensions, David a décidé de consulter un thérapeute spécialisé dans l’accompagnement des adultes TSA. Ensemble, ils ont mis en place des stratégies pour l’aider à mieux décoder les signaux sociaux et structurer ses interactions. Aujourd’hui, il utilise des scripts conversationnels et des rappels pour adapter son langage corporel et son ton en fonction du contexte. Grâce à ces ajustements, il a amélioré sa communication tout en restant fidèle à sa personnalité. Son entreprise, consciente de sa valeur, lui a confié un rôle d’expert indépendant, où il peut mettre à profit ses compétences sans être constamment soumis aux conventions sociales du bureau.
Sophie, 38 ans, graphiste, dyslexique
Depuis l’enfance, Sophie a toujours eu un regard aiguisé sur l’esthétisme et un talent naturel pour le design. Cependant, son trouble de la lecture et de l’écriture (dyslexie-dysorthographie) l’a souvent freinée dans son évolution professionnelle.
Chaque mail qu’elle rédige lui demande un effort considérable, et elle relit ses textes plusieurs fois avant de les envoyer, par peur de commettre des fautes. Lors des réunions, elle hésite à partager ses idées à l’oral, craignant de ne pas s’exprimer avec suffisamment de fluidité.
Avec le temps, cette insécurité a réduit son aisance dans les échanges professionnels, et elle a fini par éviter les projets impliquant trop d’écriture.
Après des années de frustration, Sophie a décidé d’adopter des outils adaptés (correcteurs automatiques, logiciels de synthèse vocale) et de les implanter avec l’aide de son ortophoniste. En apprenant à déléguer la correction de ses textes et à utiliser des formats plus visuels dans ses présentations, elle a retrouvé confiance en elle.
Aujourd’hui, elle s’épanouit dans un poste où sa créativité prime sur la rédaction, et elle utilise son expérience pour sensibiliser ses collègues aux défis liés à la dyslexie.
Si ces histoires permettent d’illustrer la complexité de la double exceptionnalité, elles soulignent aussi un point essentiel :
Comprendre son fonctionnement est une chose, mais savoir comment l’apprivoiser en est une autre.
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Quelles stratégies permettent d’alléger la charge mentale, d’améliorer le quotidien et de tirer parti de cette singularité ?
Voici quelques pistes à explorer.
Astuces pour Mieux Vivre avec
une Double Exceptionnalité

Accepter et comprendre son fonctionnement
Il est essentiel de reconnaître sa singularité et de s’informer sur la douance et la double exceptionnalité.
Lire des ouvrages spécialisés, consulter un professionnel et échanger avec des personnes ayant un profil similaire permet de mieux appréhender ses forces et ses défis.
Établir des stratégies d’organisation efficaces
Les adultes doublement exceptionnels peuvent être submergés par la surcharge cognitive.
Utiliser des outils comme les applications de gestion du temps (Trello, Notion, Asana), les alarmes et les rappels aide à structurer les tâches quotidiennes. La méthode Pomodoro, qui alterne périodes de concentration et pauses, peut être bénéfique pour éviter l’épuisement mental.
Gérer son hypersensibilité émotionnelle et cognitive
L’hyperstimulation cognitive et sensorielle peut provoquer de l’anxiété et de la fatigue.
La méditation, la respiration profonde et des techniques comme la cohérence cardiaque aident à réguler ces émotions.
Il est aussi bénéfique de veiller à son hygiène de vie, de créer un environnement calme et d’éviter les surcharges sensorielles (bruits excessifs, lumières vives, etc.).
S’appuyer sur ses forces et adapter son environnement
Plutôt que de se focaliser sur ses difficultés, il est utile d’identifier ses atouts et de les exploiter.
Un adulte présentant un profil HPI-TDAH pourra tirer parti de sa créativité et de son énergie en choisissant un emploi stimulant et en diversifiant ses activités.
L’adaptation de son environnement de travail (bureau isolé, flexibilité des horaires, autonomie et prises d’initiatives) favorisera aussi son épanouissement.
Créer un réseau de soutien et demander de l’aide
S’entourer de personnes bienveillantes qui comprennent son fonctionnement est primordial.
Rejoindre des groupes de discussion, suivre une thérapie ou consulter un thérapeute spécialisé peut aider à mieux gérer les défis de la double exceptionnalité.
Le soutien des proches et l’acceptation de leur aide sont également essentiels pour mieux naviguer au quotidien.
Transformer la différence en atout : un équilibre à trouver
La double exceptionnalité chez l’adulte est un défi, mais aussi une richesse.
Comprendre son fonctionnement, adapter son mode de vie et s’entourer des bonnes personnes permet de mieux vivre avec cette singularité. Être HPI avec un trouble associé n’est ni une malédiction, ni un superpouvoir : c’est une manière unique de percevoir et d’interagir avec le monde.
En prenant conscience de ses particularités, chacun peut trouver sa voie et s’épanouir pleinement.
Ressources à Consulter
LIVRES À LIRE
- Le haut potentiel en questions – Sophie Brasseur, Catherine Cuche
- Psychologie du haut potentiel – Nicolas Gauvrit et Nathalie Clobert
- 10 questions sur la douance et double exceptionnalité – Marie-Josée Caron, Elodie Authier, Marina Attié, Julie Duval et Marie-Claude Guay aux Éditions Midi-Trente
INTERVENTIONS RECOMMANDÉES
- Groupe de discussion
La participation à un groupe de soutien et discussion pour adultes HPI est un bon moyen pour partager son expérience, en toute bienveillance et dans le non-jugement.
- Intervention en Psychologie
L’estime de soi est souvent fragilisée chez les personnes doublement exceptionnelles. Lorsque la personne vit une détresse psychologique, que ce soit un trouble anxieux ou de l’humeur, il est recommandé de consulter une ou un professionnel.
- Intervention en Neuropsychologie
Le suivi en neuropsychologie est conseillé pour les personnes souhaitant mieux comprendre leur fonctionnement et désireuses de développer de meilleures stratégies pour s’adapter à leur quotidien. Celui-ci peut avoir pour objectifs, entre autres, de faciliter la gestion des émotions et des hypersensibilités ou encore de développer de stratégie pour faire face aux difficultés de concentration, d’organisation ou de gestion du temps.
- Évaluation en Neuropsychologie
L’évaluation complète en neuropsychologie va permettre d’établir un profil complet de la personne afin de l’aider à mieux comprendre son fonctionnement dans son ensemble, sa douance tout comme son trouble neurodéveloppemental et leurs répercussions dans son quotidien.
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Article écrit par
Elodie Authier (Neuropsychologue)
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